[Vous ne voyez pas ?]
Allons droit au but : la maternelle, vous vous en moquez, non ? Les doigts pleins de feutres, la pâte à modeler, les comptines à chantonner, les bancs en bois aussi durs que ceux de la messe du dimanche, tout ça, franchement, ça pourrait peut-être faire un bon livre plein de souvenirs et de nostalgie, mais de là à en écrire un livre divertissant et plein d’humour …
Non, non. C’est ce que je pensais. Cela ne vous intéresse pas des masses, et c’est tant mieux.
L’école primaire, la sixième, la cinquième, la quatrième, tout ça, c’est pareil ? C’est un peu rébarbatif, non ? Les leçons de grammaire, les verbes à conjuguer à tous les temps, l’arithmétique, les problèmes insolubles des baignoires qu’il faut remplir avec deux seaux, dont un qui se remplit deux fois plus lentement que l’autre, les leçons d’histoire, la première guerre mondiale, la seconde, qui était contre qui, la géographie, dessiner les cartes de France à l’aide du contour en plastique, ne pas oublier de situer les fleuves, les chaînes de montagnes, les massifs les plus élevés, leur altitude au centimètre près, le nom des mers et des océans qui nous cernent de toutes parts, tourner la page du manuel pour apprendre tous les pays d’Afrique par cœur, sortir le cahier bleu pour recopier les leçons, le cahier rouge pour les compositions, le cahier vert pour les poésies, faire le Cancre de Jacques Prévert, réciter l’Oiseau de Blaise Cendrars, prendre les craies de couleur et monter sur l’estrade, souligner le verbe en rouge, le sujet en jaune, le complément d’objet direct en bleu, le complément d’objet indirect en pointillés, les compléments circonstanciels en vert, remarquer les prépositions, les pronoms relatifs, les subordonnées relatives, les adjectifs épithètes, les adjectifs qualificatifs, les verbes pronominaux, les pronoms réfléchis, les pronoms personnels, les conjonctions de coordination, les adverbes, noter le genre et le nombre de tous les noms, donner à l’oral leur féminin, leur pluriel, transposer la phrase à l’imparfait de l’indicatif, au futur, réciter un peu de subjonctif imparfait, accorder le participe passé quand le complément d’objet direct est placé avant lui, ne pas toujours le faire parce qu’il y a des pièges, rechercher des synonymes à tous les mots, prouver que l’on connaît bien ses règles d’orthographe sur le bout des doigts, réciter les exceptions, se saisir de la brosse pour mettre enfin un peu d’ordre dans tout ce bric-à-brac inextricable, …
… hurler de joie à la libération de la cloche, enfiler les maillots rouges pour les tours d’endurance, les bleus ou les jaunes pour le handball, les jaunes ou les bleus pour le foot, bien réceptionner les ballons, ne pas faire la passe à l’adversaire, essayer de marquer un but de temps en temps, éviter d’être à la place du goal quand on porte des lunettes, faire semblant de courir quand on a les pieds plats, manger des pâtes la veille des épreuves qui vont être soumises à la notation, manger léger quand il s’agit de saut en hauteur, prévoir le bonnet de silicone pour la piscine, la grande serviette pour la pudeur, ne pas se faufiler dans le vestiaire des garçons lorsqu’on est une fille, ne pas essayer de voir ce qu’il se passe de l’autre côté des cloisons hautes lorsqu’on est un garçon, ne pas oublier de prendre son goûter, préparer son cartable le soir avant de se coucher, mettre le réveil à six heures et demie du matin, s’habiller rapidement pour ouvrir tout grand les volets de la maison, mettre la table et préparer le petit déjeuner, mettre la bouilloire sur le feu, réveiller sa mère qui ne sera décidément jamais du matin, bousculer du coude le frangin qui s’étale sur toute la largeur de la table, ne pas laisser des miettes de pain sur la plaque de beurre, ne pas mélanger les cuillères des confitures, continuer à ingurgiter docilement les tablettes de phosphore que maman a achetées pour remédier à la dernière mauvaise note du devoir d’histoire, ne pas renverser son bol de chocolat chaud sur les genoux de la petite sœur qui vient d’arriver, ne pas contrarier maman quand il est l’heure de partir, se dépêcher pour ne pas être en retard, aller chercher un mot d’excuse chez le directeur au cas où cela n’a vraiment pas été possible, frapper avant d’entrer dans la classe, dire bonjour à la maîtresse et lui demander pardon pour le petit incident qui ne se reproduira plus, ne pas faire celui qui ne savait pas que c’était le jour de la visite de l’inspecteur académique, ne pas mâchouiller de chewing-gum en classe, ne pas mâchouiller de chewing-gum en classe, ne pas mâchouiller de chewing-gum en classe (plus que quarante sept fois, courage !), apporter ses pantoufles en hiver, ne pas lancer de boules de neige sur ses petits camarades pendant la récréation …
C’est interminable, les souvenirs, n’est-ce pas ?
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