Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Conciergerie

 

ajouter-au-panier.png

 

 

Couloirs

Heures de colle

avatar

Tableau D'affichage

25 avril 2006 2 25 /04 /avril /2006 22:50

 

Illustration de JEPEH

 

 

 

J’avais quasiment quinze ans.

Victor, mon père, obtenait tous les ans, en guise d’étrennes, des agendas énormes dont il ne savait que faire. Certains arboraient des couvertures en cuir qui les faisait ressembler à s’y méprendre à de vrais ouvrages de littérature, sauf que le contenu, lui, restait vierge et intact de toute imagination : mis à part la succession sans suspens des dates les unes après les autres, rien n’avait été décidé, et rien n’avait été encore imaginé.

Mon père, comptable, trouvait sans doute ces grandes lignes vides, un peu trop longues à son goût. De plus, manipuler les calculs comme il avait coutume de le faire exigeait de lui une rigueur si stricte qu’il lui fallait absolument des cahiers spéciaux, capables d’arborer côte à côte des dizaines de colonnes de chiffres, qui devaient finalement constituer un code secret qu’il serait probablement le seul à pouvoir déchiffrer.

Aussi, les agendas en question, à défaut de pouvoir terminer tels quels au fond d’une corbeille à papier, finissaient toujours entre les mains de mon frère Benjamin et moi. Virginie, notre sœur, plus petite, héritait systématiquement d’un rejeton : un agenda hybride et périmé, sur lequel elle s’exerçait au gribouillage traditionnel aux feutres indélébiles.

 

Mais les emplois du temps de mon frère et moi, vides de tout contact et de tout rendez-vous, étaient bien incapables de s’attaquer à de tels monuments de l’organisation quotidienne. D’années en années, les agendas s’accumulaient donc sur le coin de nos bureaux respectifs, comme autant de défis lancés à nos personnalités idéalistes en cours d’élaboration.

 

Nous avions coutume de décréter que celui qui avait la couverture la plus lisse et la couleur la plus excentrique remportait la palme du plus disgracieux. Il y en avait des verts, des bleus turquoise et même des roses, qui nous servaient alors de réservoirs illimités à papiers brouillons.

Cependant, malgré les problèmes d’arithmétique de plus en plus difficiles, le stock de brouillon ne désemplissait pas, et nous devions alors sacrifier la majeure partie de ces volumes trop épais à l’essayage de nos vieux feutres et stylos.

 

Mais les autres agendas, les plus beaux, les plus précieux ? N’existaient-ils pas pour que l’on y entrepose nos trésors ?

une belle tête de vainqueur !

Je me souviens d’abord avoir passé des samedis entiers à découper tous les reportages des magazines qui me tombaient sous la main et qui concernaient les animaux. Un album était né : celui des « Zanimos ». Je connaissais tout : de l’ibis rouge de Guyane au maki mococo de Madagascar, en passant par la ganta cata et l’outarde barbue, le lézard vert et le phoque à capuchon, l’élan orignal et le castor ! Le saint-bernard et le labrador n’avaient pour moi plus aucun secret, tout comme l’épagneul breton et le briard, d’ailleurs. Je savais que le nasique est un voisin des semnopithèques, et que le dauphin vit en moyenne une trentaine d’années ; que l’homme peut atteindre une vitesse de trente sept kilomètres heure aux cent mètres, mais qu’il peut se recoucher devant le record olympique du guépard, atteignant parfois jusqu’à cent vingt kilomètres heure sur trois cents mètres. Une mouche vole à sept kilomètres heure, tandis qu’un taon à cinquante, un choucas vole à six mille quatre cents mètres, tandis qu’une oie cendrée à huit mille cent cinquante ! Une grenouille sud-africaine peut faire des bonds de plus de quatre mètres, et un kangourou gris, lui, des sauts en longueur de plus de treize mètres ! Un thon rouge nage à soixante dix kilomètres heure, et une baleine, à seulement dix-sept ! Un phoque plonge à six cents mètres de profondeur, et un cachalot à mille quatre cents. Un chien peut plonger et retenir sa respiration quatre minutes, tandis que la tortue verte s’immerge pour six heures d’affilée…

C’était passionnant et puis, surtout, très encourageant, car un agenda pouvait passer de la pile d’attente du bureau, aux étagères sacrées de la bibliothèque !

 

 

Ne compte pas sur Charlie Bregman pour te faire compter les moutons !

Ensuite, ce fut ma période bandes dessinées. Chaque samedi, en début d’après-midi, immédiatement après le brossage de dents, mon frère et moi nous attelions à ce qui était devenu notre occupation hebdomadaire préférée : le découpage du magazine télé. Il récupérait des photos d’acteurs comiques, ainsi que les résumés de leurs films, tandis que je m’emparais des gags de Boule et Bill, archivés en fin de programme, ou encore des nouvelles histoires de Lucky Luke.

 

Un nouvel album naissait. D’un côté comme de l’autre.

 

Mais, malgré tous nos efforts et notre bonne volonté à leur imaginer une reconversion, à tous ces agendas de plus en plus périmés, il nous en restait toujours un sur la touche. Et c’était le plus beau, bien sûr : celui à la couverture en cuir respectable, aux feuilles de papier glacé et au marque-page en tissu bordeaux !

Mon frère, encore plus perfectionniste que moi, avait dû prendre la décision de conserver le sien intact ad vitam eternam, vierge de toute rature, sans doute en hommage à l’immaculée décision.

Bregman essaie aussi de laisser sa trace sur le net ...

Moi, j’avais décidé, un beau jour, d’utiliser le mien en guise de journal de bord. Non pas en guise de journal intime, car les journaux intimes sont des trucs de nanas, des espèces de coffres à secrets qui n’ont de valeur que si l’on veut bien les utiliser pour se moquer d’elles. Non : le mien serait un « journal de bord » ! Une sorte de journal au long cours, si vous préférez, un journal de capitaine, quoi ! Une espèce de longue accumulation des événements essentiels ou même imaginaires, survenus au jour le jour.

Bref, ce serait quelque chose de sérieux, quelque chose de précieux, quelque chose d’essentiel. Quelque chose dont on ne se moquerait pas.

Et pour cela, il ne lui fallait, bien sûr, pas une seule rature.

 

 

C’est ainsi que je naquis, un jour de ma quinzième année, sans savoir que cette décision-là allait sans doute influencer tout le reste de mon existence …

 

 

 

 

Charlie Bregman, le 26 avril 2006 (1),

c'est-à-dire "quelques" années plus tard ...

 

 

 

Rendez-vous lundi pour la mise en ligne du premier épisode !

A bientôt !

 

 

 

 

[Tourner la page vers l'épisode 1 du chapitre 1]

 

 

 

(1) Et 5 ans "encore" plus tard… le roman sort en version papier !!!

Vivement l'amour, le premier roman de Charlie Bregman.


 

 

 

 

 

Site recommandé par Ousurfer.com

 

www.meilleurduweb.com : Annuaire des meilleurs sites Web.

Partager cet article
Repost0