[Extrait de l'épisode - la version intégrale était disponible jusqu'en début 2011]
Mes yeux s’écarquillèrent aussi grands que ma bouche, et sans doute laissai-je même échapper un léger cri d’effroi.
C’était le premier choc émotif de toute ma vie.
Aurélie, dix ans, la voisine qui habitait au fond de ma rue, avait des seins ! J’en rougis de confusion jusque presque en perdre connaissance.
Jamais l’odeur des tissus du car ne m’avait paru aussi forte !
Mais elle non plus, malgré tout ce que je fis pour me faire remarquer, ne connut sans doute jamais les sentiments que j’avais pour elle, mon comportement prenant alors une direction tout à fait opposée à toute espèce de rapprochement physique concret : en effet, dès que le car nous posait au même arrêt, matin ou soir, je décampai comme un furet pour arriver chez moi avant qu’elle ne passe devant ma cour. Tandis qu’elle avançait à pas mesurés, je me déchaussais sans perdre une minute, fonçais vers le lavabo me laver les mains à grande eau, et m’accaparais le bureau de mon père en ouvrant les volets et la fenêtre qui donnait sur la cour, tout grand.
J’ouvrais la partition de la semaine, et me mettais alors à frapper les touches de mon piano comme si c’était Beethoven lui-même qui venait de ressusciter !
Du coin de l’œil, j’observais le passage d’Aurélie.
Quand elle ralentissait, j’étais envahi d’une joie incommensurable.
Quand elle ignorait, sans scrupule, l’offrande sonore que je lui adressais, elle avait gagné : j’étais de mauvaise humeur pour tout le restant de la journée !
Une seule fois, elle sembla s’arrêter et tendre l’oreille.
Mais au moment où l’immense fierté qu’elle venait de susciter en moi était prête à planter son glorieux drapeau au sommet d’une de mes plus belles gammes, elle se baissa, et refit son lacet.
Je refermai la fenêtre, et m’arrêtai aussitôt de l’aimer … au profit d’une meilleure approche de mon petit clavier tempéré.
(pour accéder à la version intégrale, corrigée et définitive du texte, lisez Vivement l'amour !)