Je le planquais aussi, celui-ci. Dans le tiroir de mon bureau. Ou plutôt : SOUS le tiroir de mon bureau, avec un gros scotch, à côté du revolver en plastique chargé six pétards.
A 18 ans, comme j'étais étudiant et que je vivais seul, je n'avais pas trop de problèmes d'intimité. J'écrivais jour et nuit, n'importe où, dans n'importe quelle pièce. Je me demande d'ailleurs si certaines pages sans intérêt n'ont pas été écrites directement depuis les toilettes...
A 22 ans, j'étais à l'armée. Au début, c'était très dur de pouvoir prendre des notes, d'autant plus que mon sergent m'avait à l'oeil. Il n'empêche que c'est là-bas que j'ai terminé l'écriture de mon premier roman.
Une vraie merde. Un inédit. Un inclassable.
Un bloc de mots aussi dur qu’une tablette de Moïse. Premier commandement : tu feras un plan de ton ouvrage, avant de t’y jeter dedans corps et âme !
A 24 ans, je me suis replongé dans l'histoire de mes 15 ans et j'ai écrit les Impatiences amoureuses version 1. Ma femme est arrivée dans ma vie (ou revenue, pour être plus juste, mais c’est une longue histoire) et j'ai continué à planquer mes écrits, jusqu'au jour où je lui ai dit « ok, c'est bon, j'abdique, il faut que je t'avoue que j'ai une grrrrrosse tare : j'écris ! »
J'ai eu de la chance : elle est restée, et sans ultimatum de sa part.
Sainte femme ! Elle ne savait pas ce à quoi elle s'exposait !
A 27 ans, la version BETA des Impatiences amoureuses tient à peu près la route. Du moins, c'est ce que je croyais.
Je l'envoie à un éditeur, qui fait passer l'ouvrage en comité de lecture, et puis, bing sur la tête, je reçois une lettre qui dit que désolé Monsieur, vous n'êtes pas Balzac, vous n'êtes pas Beigbedder, vous n'êtes visiblement pas quelqu'un de très connu et nous avons des impératifs très durs au sujet de nos collections. En clair, vous ne convenez pas, mais alors pas du tout !
Zut.
A 30 ans, j'ai ma première fille. Ça occupe beaucoup un écrivain, ça, le fait d'avoir un bébé. Ça occupe les nuits et ça repose le stylo. Très bien, mais il n'empêche que je persiste et je réfléchis à une version plus approfondie des Impatiences.
L'heure tourne.
A 32 ans, je découvre le net.
Ma fille fait largement ses nuits : c’est maintenant au tour d’Internet de me rendre insomniaque.
C'est le début de la décadence physique, psychique et profonde. Il s'en est fallu de peu pour que je ne décède pas de manque de sommeil.
Jour : dessinateur en architecture.
Nuit : écriture, blog de Charlie, blog des Impatiences…
Dormir, c’est quoi, déjà ?
A 33 ans, j'ai ma seconde fille. Ma femme passe en job de nuit pour s'occuper des filles le jour, et
le bébé s'avère être une pure rebelle du sommeil canalisé. Dormir devient alors pour nous une véritable mission impossible !
Donc... j'écris encore plus (autant rentabiliser, entre deux pleurs, non ?!)
A 34 ans... Ah, ben non, ça s'arrête là. Pour le moment, j'en suis encore au chemin de croix. 33 ans. Aïïïe ! Tu les sens passer ? Non ? Pas encore ? Tiens ! Un coup de fouet !... Qu'on lui rajoute deux kilos de chaque côté de la croix ! Allez ! Debout ! Avance !
Bon. Je l'ai bien cherché. Mea culpa.
Demain, je vais me faire manipuler la vésicule biliaire.
Il paraît que ce serait à cause d'elle que j’ai de la bile dans le sang.
Je me fais un sang d’encre !
Si on m'enlève l'encre que j'ai dans le sang, qu'est-ce que je vais devenir, moi ?!
Les Impatiences amoureuses, version "mise en ligne sur le blog" sont actuellement au stade d'ultime perfectionnement.
Chaque jour, entre midi et deux, je m'éclipse de mon lieu de travail pour m'atteler à la tâche.
Toujours incognito. Toujours en cachette. Toujours derrière le masque de celui qui n’a rien à dire et rien à faire et rien à vivre et rien à ajouter.
Charlie Bregman n'existe que là.
Que sur cet internet.
Et entre nous soit dit : c'est comme si je n'existais en réalité qu'ici moi aussi !